Discours de Maurice Page à l’occasion du départ de Madeleine Genoud-Page du Conseil Communal de Fribourg

IMG_20160216_230017Que la vie soit plus belle, plus intéressante, plus lumineuse

Pour ce bref hommage à Madeleine Genoud-Page, qui se retire après 10 ans passés au Conseil communal de la Ville, j’aurais pu faire un bilan. Aligner les bénéfices, calculer les déficits, vous parler de dépenses liées, de taux d’autofinancement, de quotient d’impôts, de dettes. Je ne le ferai pas. Je préfère dresser avec vous un portrait politique de Madeleine Genoud-Page. Je le fais à partir des mots de Vaclav Havel. Dramaturge, homme de théâtre, dissident, prisonnier, avant de devenir président de la République tchèque, Vàclav Havel a été un politicien atypique. Il est souvent appelé le «président-philosophe». Il est décédé en 2011. Beauté, indépendance, service, combat et espoir, sont les cinq touches de ce portrait.

La beauté

Le premier coup de pinceau porte sur la beauté. Dans méditations d’été, Vaclav Havel écrit : “N’est-il pas vrai que pour chaque citoyen – et doublement pour les hommes politiques – l’essentiel est et devrait être finalement que la vie soit plus belle, plus intéressante, plus lumineuse et plus supportable ?” Vaclav Havel ne parle pas d’économie, ni de confort, ni même de bien-être. Il parle de beauté, d’intelligence, de lumière. D’emblée, il s’écarte d’une vision du monde comme un réservoir à exploiter, une matière à transformer, une entreprise à gérer. Il voit le monde offert comme beauté, jouissance, joie, dont il faut prendre soin. Dans son premier manifeste en 1973, ce qui était alors le parti indépendant chrétien-social (PICS) parle de la beauté comme d’un problème politique. Il rappelait que l’homme est d’abord expression de lui-même: par le travail sans doute, mais aussi par l’amour, l’amitié, la joie, la création de beauté, le jeu, la fête.
C’est donc assez judicieusement que Fribourg, qui s’affiche comme une ville d’art et d’études, a placé dans les mains d’une même personne les finances et la culture. Pour nous rappeler que l’essentiel est que la vie soit plus belle.

L’indépendance n’est pas un état de choses. C’est un devoir.

La deuxième touche du portait est celle de l’indépendance. Toujours dans Méditations d’été, Havel écrit: «L’indépendance n’est pas un état de choses. C’est un devoir.» Pour un élu, même au niveau communal, c’est loin d’être un vain mot. Il se doit être indépendant des forces de l’argent, des privilèges. Se souvenir constamment qu’un projet ne se construit pas en fonction du poids économique de son promoteur. Se montrer indépendant des idéologies politiques, de droite, mais parfois aussi de gauche, de la démagogie, du populisme facile, des flatteries.
Face à la pression des événements, des institutions, des hommes, il doit conserver sa capacité à prendre de la distance, à analyser les situations. Cette indépendance d’esprit, le Conseil communal a su en faire preuve par exemple pour proposer une hausse d’impôt.

La vraie politique est simplement le service du prochain

«La vraie politique est simplement le service du prochain». C’est autour de ce troisième aphorisme de Vaclav Havel, que je poursuis mon portrait de Madeleine Genoud-Page. Je me permets ici une citation un peu plus longue dont il n’y a rien à retrancher. «Au cours des quinze dernières années, j’ai eu à l’infini des occasions de me convaincre combien, dans un système démocratique, il est important de concevoir la politique comme un réel service aux citoyens et non comme une technologie du pouvoir. Ce service doit être dans la mesure du possible désintéressé, basé sur certains idéaux, il doit respecter le principe moral qui est au-dessus de nous et doit prendre en considération les besoins récurrents du genre humain. Donc, il ne doit pas être un pouvoir qui veut plaire à un moment donné aux citoyens et qui n’est qu’un jeu d’intérêts particuliers ou de buts pragmatiques ne cachant en fin de compte qu’une seule chose: le désir de rester accroché à son fauteuil. […]La politique ne doit jamais abdiquer devant de grandes idées, se passer du «cœur» et devenir une sorte de mouvement technocratique perpétuel

Un seul combat est perdu d’avance, celui auquel on renonce

Mon coup de pinceau suivant parle de combat. «Un seul combat est perdu d’avance, celui auquel on renonce», rappelle Vaclav Havel.
Nous vivons aujourd’hui dans une mentalité de peur. L’homme a peur pour ce qu’il possède, pour ses enfants, sa santé, sa vie. La société a peur. Certains partis ont fait de ces peurs leur fonds de commerce. Ils élèvent des murs, au lieu de construire de ponts.
Or la communauté politique a le devoir de susciter la confiance, en soi, envers les autres, dans les institutions et la société. Il n’y a pas les bons et les mauvais. Il y a du bon et du mauvais. Le respect, l’ouverture, la tolérance sont des mots-clefs qui ouvrent les cadenas de nos existences. Il ne faut pas se méfier de l’homme, mais de tout ce qui l’enferme. Ce combat signifie aussi la responsabilité pour les générations futures.

L’espoir

Enfin, la dernière touche de mon esquisse évoque l’espoir. Pour Vaclav Havel, «Il ne faut pas identifier l’espoir aux prévisions. Il est une orientation de l’esprit, du coeur, il va au-delà du vécu immédiat et il s’attache à ce qui le dépasse». C’est avec ce regard, chère Madeleine, que je te souhaite une ‘retraite’ plus belle, plus intéressante, et plus lumineuse.

Maurice Page  16 février 2016